Le monde inversé de Jonas
Lors de l’office de minha (l’après midi), nous lisons dans la Haftarah l’histoire du prophète Jonas.
C’est dans le comportement du prophète et non dans son discours qu’il faut aller puiser la substance du texte.
Le récit :
Jonas reçoit l’ordre divin d’avertir les habitants de Ninive (la capitale de l’Assyrie) de l’imminence de leur perdition, D.ieu ayant décidé de détruire la ville en raison de leur perversion.
Jonas refuse de remplir sa mission et s’enfuit. Il embarque sur un bateau, mais en pleine mer, une violente tempête menace de renverser le navire. Les membres de l’équipage comprennent que c’est Jonas qui met en péril l’embarcation. Celui ci suggère qu’on le jette à l’eau pour apaiser le courroux divin. Les marins font tout pour ne pas en arriver là, mais finissent par s’y résoudre, non sans exprimer leurs scrupules. Aussitôt fait, la mer reprend son calme.
Jonas est alors ingéré vivant par un grand poisson (une baleine?) durant trois jours. Trois jours au cours desquels il médite sur la souveraineté divine à la quelle il consent finalement de se soumettre. Le poisson rejette Jonas sur la côte et celui ci se rend à Ninive et prophétise.
Contre toute attente la réaction des habitants est immédiate, ils font preuve de grande contrition et se repentent. Ninive est alors sauvé par la miséricorde divine au grand désespoir de Jonas qui affirme qu’il aurait préféré mourir plutôt que de voir les habitants de Ninive bénéficier de cette grâce.
Le paradoxe :
En somme la teneur du récit est à l’inverse de ce que l’on peut escompter dans ce type de littérature. Les personnages qui font vraiment preuve de morale sont d’une part les matelots idolâtres qui font tout pour sauver Jonas et d’autre part les habitants de Ninive, des assyriens également idolâtres, qui se dressent avec promptitude et redressent leur conduite. Même les différents éléments de la nature, tels que la mer, le vent, le poisson, le soleil, le ricin, obéissent à D.ieu. Le seul personnage qui s’oppose résolument à la volonté divine n’est autre que l’élu de D.ieu, le prophète Jonas. Il se détourne et s’éclipse. Et quand enfin il s’exécute, il le fait contraint et contrarié, non sans manifester son désaveu.
Comment pénétrer la signification renversante de ce récit ?
Une explication possible :
Le nom du prophète Jonas, yona en hébreu, renvoie à la colombe yona que Noé, après le déluge, avait envoyé hors de l’Arche pour s’assurer que la terre était à nouveau sèche et donc habitable.
Dans un premier temps Noé envoie en reconnaissance un corbeau. Celui ci va et vient jusqu’à ce qu’il trouve un lieu de vie et ne revienne plus. Noé ne se satisfait pas de ce seul résultat et envoie une yona. Il s’y prend à trois reprises. La première fois, la colombe revient à l’Arche sans avoir trouvé de lieu où reposer. La seconde, elle ramène dans son bec le fameux rameau d’olivier. La troisième, elle ne revient plus.
Que signifient ces allées venues ?
Le corbeau s’est très rapidement accommodé au monde post diluvien. Il y trouve sa place alors que la terre est encore boueuse et empestée d’une odeur nauséabonde des cadavres en décomposition. Le corbeau est celui qui trouve ses repères dans le monde des charognes et des charognards. Le monde, en l’état, lui était viable, supportable.
Pas la colombe.
Elle attend d’y trouver du végétal, le rameau d’olivier, le signe de la vie qui se perpétue. Elle ne s’élance vers le monde qu’une fois assurée, rassurée, que ce nouveau monde est celui de la purification et non plus de la putréfaction.
Le comportement de Jonas est similaire à celui de la colombe. Jonas est un être pur.
Les forfaitures, les concupiscences morbides des humains, toutes ces mains sales, cette boue fétide qui éclabousse et souille, lui donnent la nausée. Il se dit « si le monde entier est corrompu et pourri, n’est il point justice que D.ieu lui réserve le même sort que celui qu’il réserva à la génération du déluge ? »
Mais voilà que D.ieu le désigne lui pour tenter de sauver le monde avarié.
Que fait alors le Juste ?
Il se replie vers la mer, embarque sur une arche et prend le large. L’homme-colombe se conforme au modèle de Noé, il veut revenir à la période diluvienne, celle du grand nettoyage.
Et que fait Jonas quand la tempête menace ?
Il se réfugie au chaud, au fond de la cale. Sans doute rêve t il d’un monde meilleur.
Ce repli sur soi ressemble à ce que les psychologues appellent une régression au stade fœtal, lorsque terrorisé devant les adversités de la vie on se blottit dans les quiétudes illusoires de l’amnésie.
Si Job criait à cause de la souffrance des justes, Jonas crie à cause de la survivance des fauteurs.
Pour Jonas la modération dont fait preuve D.ieu ressemble à du laxisme.
D.ieu se fait magnanime, longanime, Jonas lui se fait zéleur.
C’est donc l’idéal, l’idéalisation que Jonas se fait lui même du monde, tel qu’il devrait être, qui le conduit à cette pernicieuse perversion de la démission suicidaire.
Le livre de Jonas offre le spectacle hallucinant de païens prompts au repentir face à un juste si confortablement installé dans ses certitudes.
Un simple ricin qui lui apporte un petit supplément d’ombrage trouve plus de grâce à ses yeux que la vie de 100000 humains, trop humains, entachés par le péché.
Qui est donc cette colombe qui ne voit autour d’elle que des corbeaux ?
Et pour terminer par une autre question : pourquoi ce passage, cette réflexion le jour de Kippour ?
À partir d’un texte de Rivon Krygier