Un tournant décisif
De nombreuses parachiot marquent un tournant clé dans l’histoire du peuple juif. Bien sûr la paracha de Bérichit là où tout a été créé, où tout commence, puis la décision de Rebecca de choisir Jacob plutôt qu’Esaü, les dix plaies d’Egypte qui permettent la sortie de l’esclavage, le don de la Torah dans le désert, l’épisode du veau d’or, la faute des explorateurs qui vont faire errer les hébreux 40 ans dans le désert, …
Et bien Vayigach avec la réconciliation des frères fait partie de ces grands moments qui changent le cours de l’histoire, qui lui permettent d’advenir.
Depuis le début de l’histoire, le début de la Genèse, tous les frères se disputent. Il se jalousent, entrent en rivalité, certains se détestent, d’autres vont même jusqu’à tuer, comme Caïn, ils sont tous à la recherche de l’amour du père.
Arrivent les aventures de Joseph. Il est jalousé par ses frères, qui le laissent pour mort, après l’avoir jeté dans un puits; c’était l’enfant préféré de leur père! Joseph, après moultes péripéties, devenu vice roi d’Egypte, reçoit ses frères qui ne le reconnaissent pas. S’en suit toute une série d’échanges pour qu’enfin les frères se réconcilient.
Joseph leur pardonne et Yéhouda fait preuve d’un comportement remarquable.
Il fallait que les frères se réconcilient pour que l’histoire puisse avancer, pour que l’histoire d’une famille sur plusieurs générations (Abraham, Isaac, Jacob, Joseph) puisse donner naissance à un peuple.
Changer de focus
Jusqu’à l’épisode de Yéhouda discutant avec Joseph pour prendre la place de leur frère Benjamin, les frères recherchaient avant tout l’amour du père. Et ils étaient jaloux s’ils n’étaient pas le préféré, et encore pire lorsqu’ils se sentaient trahis par le père ou la mère (comme avec Rebecca et Esaü).
Ici Yéhouda change le focus, il ne pense plus à être aimé, mais il cherche plutôt à ce que le père, son père (Jacob) soit content, heureux. Il ne pense plus à lui, il pense à l’autre. Et c’est en changeant de focus que tout change. Une nouvelle façon de voir les choses, la vie. Un regard, une attention d’abord tourné vers l’autre.
Et il fallait ce changement de focus couplé à la réconciliation des frères pour que l’histoire advienne dans de bonnes conditions.
Ce changement est majeur, clé. C’est Yéhouda qui l’initie, qui l’incarne.
Joseph ou Yéhouda
Nous voici en présence de deux hommes, deux frères, deux archétypes.
Joseph est appelé Joseph le juste, le tsadik. Il représente le juif en exil, en responsabilité, proche du pouvoir, totalement intégré, mais qui reste fidèle à ses valeurs, à ses racines, à ce que ses parents lui ont enseigné. Intégré mais pas assimilé, un savant dosage subtil et essentiel.
Joseph ne cède pas aux tentations, il n’a même pas cédé aux avances de la femme de Putiphar. Il est presque parfait. Il ne trébuche pas. C’est un juste. Un modèle. Peut être trop, trop parfait, presque irréel.
Yéhouda c’est l’inverse. Lui il trébuche, il a failli avec sa brue déguisée en prostituée, il a succombé. Mais quand il est démasqué il ne se dérobe pas, il assume. Avec son frère Joseph il est dur, il est jaloux, il lui veut du mal, il souhaite le tuer, et se contente de le laisser pour mort. Et bien avec son autre frère Benjamin dans d’autres circonstances, plus tard (l’autre fils de Rachel, le nouveau fils préféré de son père) il va avoir un comportement radicalement opposé, il va le défendre jusqu’à proposer de prendre sa place en prison, de se sacrifier. Il fait donc téchouva. Il opère un retour.
Nous comprenons bien avec ces deux exemples le profil de Yéhouda.
Yéhouda est un homme qui est faillible, qui peut, qui va trébucher, mais qui va le reconnaître, qui va assumer ses responsabilités, puis qui va se relever et modifier radicalement son comportement. Un baal téchouva. Exactement comme le définit Maïmonide, quelqu’un qui va se retrouver dans les mêmes conditions dans lesquelles il a fauté et qui ne va pas recommencer.
Que nous dit l’avenir?
Joseph va donner naissance aux tribus d’Israël, et Yéhouda à la tribu de Yéhouda. Un schisme aura lieu au 8ème siècle avant notre ère. Les tribus d’Israël vont disparaitre, seul restera le royaume de Yéhouda. C’est Yéhouda qui triomphera. C’est cet homme « plus humain », celui qui est faillible, celui qui trébuche mais qui sait se relever, celui qui assume, celui qui sait revenir, s’améliorer qui va devenir le « juif ». Le nouvel archétype. Juif vient bien de la racine Yéhouda.
Nous voilà fixés, être un tsadik, un juste ne nous est pas demandé nécessairement; est ce seulement humain? Qui peut réellement résister à la femme de Putiphar?
Par contre ce qui est attendu, espéré c’est savoir être digne lorsqu’il nous arrive de trébucher, de succomber. Ne pas se réfugier dans un déni destructeur, mais au contraire affronter debout la difficulté, faire face, puis se relever pour enfin adopter un comportement corrigé, amélioré, augmenté dirait on aujourd’hui.