Lors d’un office de Kippour dans un petit village de Pologne, le rabbin entend au fond de la salle des cris, des disputes, un échange musclé.
Le rabbin s’approche et voit un homme parler tout seul, Moshé.
Effaré, le rabbin demande : « Mais à qui parlais-tu ? »
Moshé répond : « Je parlais à D.ieu »
Le rabbin : « Ah bon et de quoi parlais-tu ? »
Moshé « Je lui ai dit, tu veux que je reconnaisse mes fautes à Yom Kippour, et bien toi tu n’as qu’à commencer à reconnaître les tiennes. Regarde dans quel état est le monde, regarde ce qui nous arrive, tu ne crois pas que c’est à toi de demander pardon ? ».
La rabbin : « Et comment cela s’est terminé ? »
Moshé : J’ai finalement dit à D.ieu : « Tu me pardonnes, je te pardonne et on est quitte ».
Et là le rabbin se met en colère et lui dit en criant ; « Mais pourquoi l’as tu laissé s’en tirer à si bon compte ? ».
Voici une histoire, sous les traits de l’humour, qui nous raconte quelque chose d’extrêmement juste sur la conception juive de la prière.
Aux antipodes de la culture populaire, la prière juive n’est certes pas une dispute mais plutôt un échange, une négociation avec le divin. Une notion contre-intuitive.
La prière centrale de la liturgie juive est la « Amida » qui veut littéralement dire « debout », se tenir debout. Elle traduit une notion de verticalité. La prière s’énonce debout et non pas agenouillé ou prosterné, à l’opposé d’autres religions.
Lorsque l’on tape le mot « prière » sur Google l’émoticône de deux mains jointes l’une à l’autre apparaît. Des mains liées qui traduisent l’idée « je m’en remets à toi ». Et bien cette notion est contraire, l’opposé de l’attitude juive.
La prière juive est une négociation, or les mains liées, attachées je ne peux pas négocier, j’ai nécessairement besoin d’avoir des cartes en mains, des atouts, il faut que je puisse m’en servir.
Oui, osons-le, il s’agit quasiment d’un face à face avec le divin d’égal à égal.
Quel culot n’est-ce pas, quelle « houtspa » !
Pour un peu mieux comprendre cette notion revenons aux textes, à notre histoire.
Le premier homme à dire la prière, la Amida, c’est Abraham. Il est dans le désert, se tient debout, récite la Amida, et c’est alors que D.ieu s’apprête à détruire Sodome et Gomorrhe. Pour quelle raison ? Le péché suprême qui régnait dans ces villes, selon notre tradition, était la non hospitalité, la non solidarité.
Et va alors se dérouler le très connu et célèbre épisode de la négociation d’Abraham avec D.ieu pour sauver ces villes de la destruction.
Abraham se tient debout devant D.ieu et alors commence la négociation.
Abraham interpelle D.ieu, « Sur quoi fondes-tu ta justice ? S’il y a 50 justes dans ces villes acceptes-tu de les épargner ? » D.ieu répond oui, puis cela se poursuit s’il y en a 45, puis 30, puis 20, 15 et finalement 10.
Marché conclu s’il y a 10 justes à Sodome et Gommorhe D.ieu épargnera de la destruction ces villes.
Tout le monde connaît la fin de l’histoire, il n’y avait pas 10 justes dans ces villes.
Et ce chiffre 10 va rester comme un chiffre clé dans notre tradition le fameux « miniane », le nombre de personnes minimum pour constituer un office, avec la symbolique suivante : un petit groupe d’hommes se tenant debout peuvent sauver le monde, un rappel sur le devoir d’intervenir pour que la destruction n’arrive pas.
Il s’agit ici de négocier avec D.ieu, non pas pour soi, mais pour les autres, pour la justice.
Mais à cette attitude d’extrême culot, il faut rajouter une autre notion qui peut paraître paradoxale mais qui est en fait complémentaire . Lorsqu’il interpelle D.ieu, Abraham rajoute « moi qui suis poussière et cendre ». Il entreprend de parler, de négocier avec D.ieu car il a pleine conscience de sa petitesse, il fait preuve de grande humilité. Nous devons adopter la même attitude.
Nous avons l’habitude d’évoquer dans nos prières le D.ieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et de lire la Torah, le livre de Moïse. Nous n’évoquons jamais le D.ieu de David le grand roi puissant, ou celui de Samson l’homme fort et sage ou encore celui de Aaron le grand prêtre un homme presque parfait.
Non, nous faisons appel à Abraham un homme stérile, à Isaac aveugle une bonne partie de sa vie, à Jacob un boiteux depuis sa bagarre avec l’ange, et à Moïse un bègue.
Un véritable trait d’humour.
Voici donc nos héros : nous évoquons chaque jour dans nos prières le D.ieu d’un stérile, d’un aveugle, d’un boiteux et nous lisons la Torah d’un bègue.
C’est parce que nous connaissons les failles de ces hommes, leurs douleurs, leurs vulnérabilités, leurs imperfections que nous connaissons les nôtres.
Et c’est parce que nous ne sommes rien, que nous pouvons tout nous permettre. Notre petitesse nous rend des géants.
D.ieu entend les prières des cœurs brisés. D.ieu aime cette brisure, les failles, les imperfections, qui permettent de se tenir debout face à lui.
Et nous n’avons pas l’intention de le laisser s’en sortir à si bon compte.
Extrait d’une conférence de Delphine Horvilleur