Nous savons déjà (cf d’autres articles du blog) que les parachiot, notamment du premier livre Béréchit, vont deux par deux; et que ce premier livre Béréchit précède la véritable histoire du peuple juif qui va démarrer avec le deuxième livre de la Torah, celui de l’Exode. Ce 1er livre représente en quelque sorte la préhistoire de notre récit.
Et bien les deux premières parachiot, Béréchit et Noah représentent alors la préhistoire de la préhistoire. Puisque le monde créé va disparaître au bénéfice d’un nouveau dont nous allons ouvrir les pages cette semaine avec la paracha de Leh Leha et l’apparition d’un nouvel héros, une légende, Abraham.

Le récit, notamment des couples les plus célèbres de l’histoire juive, les patriarches et les matriarches, présente des thèmes récurrents.

 

1) Le changement de nom :

En effet, Abraham, Sarah, Jacob ont tous les trois changé de nom, d’identité.
Abram est devenu Abraham en héritant d’une lettre supplémentaire au cœur de son nom.
Saraï devient également Sarah par l’ajout de cette même lettre, mais cette fois ci à la fin de son nom.
Quant à Jacob il est crédité du nom d’Israël, après avoir combattu un ange.
Ce changement de nom correspond à un changement identitaire, voire avec une métamorphose physique, corporelle.
Abraham change d’identité au moment où il lui est enjoint de se circoncire.
Jacob devient Israël au prix d’une dislocation de sa hanche.
Quant à Sarah en changeant de nom, elle va sortir de sa stérilité.

 

2) La stérilité des matriarches :

Voici un autre thème récurrent du récit biblique. Une à une les matriarches ont des difficultés à concevoir à un moment ou à un autre de leur existence. Bien pour nous rappeler que ce qui peut paraître tout à fait naturel, évident, est bien un miracle répété à chaque fois et que l’intervention divine est nécessaire.

 

3) Autre motif central : la rivalité

La rivalité, la jalousie familiale entre toutes les fratries de la Genèse saute aux yeux.
Ichmaël et Isaac, Jacob et Esaü, ainsi que Léa et Rachel qui se battent pour l’amour de Jacob, sans parler de Joseph et ses frères. Cette rivalité s’articule souvent autour de la question du droit d’aînesse. L’aîné biologique, malgré ses droits naturels, n’est généralement pas celui qui est choisi, celui qui hérite de la bénédiction. Il n’est pas celui porteur de l’Alliance et s’opère presque systématiquement un renversement du droit d’aînesse. Ichmaël le premier né d’Abraham n’est pas celui qui héritera de l’Alliance, Esaü l’aîné d’Isaac non plus. Léa l’aînée souffre du manque d’amour de Jacob à son égard.
Ici nous retrouvons le message que rien n’est joué d’avance, rien n’est automatique, ou prédestiné, les acteurs ont leur destin entre leurs mains, disposent de leur libre arbitre, et vont faire devenir l’histoire par leurs propres actions et décisions. Et il est à remarquer que les femmes joueront un rôle central dans tout ce cheminement (nous aurons l’occasion d’y revenir dans de prochains articles).

 

4) Autre point commun de cette génération, et peut être le plus important, signifiant : la non installation, le mouvement, l’exil permanent.

Tous, à un moment de leur vie, se mettent en chemin pour des motifs divers. Un appel, le temps d’une famine qui oblige à migrer vers d’autres terres, ou la fuite devant un frère jaloux. L’éloignement, l’arrachement de la résidence habituelle et familière est au cœur de leur biographie, préfigurant d’une certaine façon les pérégrinations et l’errance de leurs descendants. Comme si leur enracinement, leur sédentarisation interdisait le voyage spirituel. Comme si pour être mobile dans sa tête, il fallait s’abstraire de tout attachement et vivre en perpétuel mouvement pour se concentrer sur l’essentiel.

Les matriarches et les patriarches jouent un rôle essentiel, ils nous mènent lentement vers l’histoire collective du peuple hébreu qui nous sera contée dans le deuxième livre, celui de l’Exode. Mais pour cela il faudra que les frères se réconcilient, c’est ce qui se passera à la fin du premier livre, avec Joseph qui pardonnera à ses frères et avec l’arrivée des deux fils de Joseph, Ménaché et Ephraïm, les deux premiers frères de la Bible que ne se jalousent pas, qui ne se disputent pas.
Ces ancêtres ne sont pas des êtres irréprochables, ils usent de la ruse, parfois du mensonge, bref ce ne sont pas des saints mais ils incarnent une humanité dans la complexité de leurs relations, à leurs conjoints, à leurs parents, à leurs enfants.
Leurs dilemmes, leurs combats font écho aux nôtres.

 

À partir, entre autres, du Alef-bet d’Akadem.

André Bensimon