Voici une paracha narrative. Toujours sympa de raconter l’histoire.
En résumé :
Balak le roi de Moav fait appel à Bilaam, le plus grand des prophètes des nations, pour maudire le peuple d’Israël.
- Pourquoi ?
Un nouveau peuple, les Bnei Israël, arrivent du désert, se pointe sur les rives du Jourdain et prépare leur entrée en terre Sainte. Les peuples voisins ne l’entendent pas de cette oreille, ils ne veulent pas les laisser entrer. Alors les combattre ? Possible, mais ils savent que ce nouveau peuple, fort nombreux, est soutenu par un D.ieu puissant qui fait des miracles impressionnants. Ils ont même réussi à battre le peuple le plus puissant de l’époque, les égyptiens. Alors le roi de Moav, un des peuples qui ne veut pas laisser entrer Israël sur sa terre promise, a une idée « originale ». Comme Israël est le peuple de la parole, des paroles, alors battons le sur son propre domaine, attaquons-le par la parole. Maudire Israël reviendrait à le désarmer sur un plan spirituel à défaut d’une victoire militaire improbable.
- Bilaam part pour maudire le peuple d’Israël, monte sur son ânesse et entreprend son voyage.
En chemin son ânesse voit un ange sur sa route, elle parle avec son maître et dévie alors sa trajectoire, froisse le pied de Bilaam contre la paroi, l’ange stoppe Bilaam dans son élan, et au lieu de maudire Israël il va les bénir. Mais que veut dire cette histoire ? Un âne qui parle ? Quelles leçons, quels enseignements ?
- Une similitude frappante et intrigante entre Bilaam, le personnage central de cette histoire et Abraham.
En effet les deux sont de grands, de très grands prophètes, obéissants à D.ieu, fidèles, humbles, bourrés de qualités ou du moins apparentes, notamment pour Bilaam. Pour bien nous faire penser à cette similitude le texte nous aide.
Pour Bilaam : « il se lève tôt, scelle son ânesse, et prend la route avec ses serviteurs ».
Pour Abraham : « il se lève tôt, scelle son âne et prend la route avec ses serviteurs ».
La mise en scène de l’accomplissement de l’ordre divin est la même. Bilaam part pour maudire Israël, Abraham part pour sacrifier son fils Isaac. Nous le voyons donc les situations sont très semblables, les qualités des deux hommes très proches et pourtant ! Certes ils se ressemblent et pourtant ils sont totalement différents, opposés, contraires.
Essayons de comprendre
- Abraham est motivé par l’amour, celui de D.ieu et il a totalement confiance. D.ieu a promis (quelques versets plus haut dans la Bible) à Isaac une descendance nombreuse, il lui a donné une alliance éternelle.
Abraham sait que D.ieu n’a qu’une parole, alors lorsqu’il lui demande de prendre son fils et l’emmener en haut du mont Moriah pour le sacrifier, il a confiance, il obéit et est convaincu au fonds de lui-même que le dénouement sera conforme à la promesse initiale, d’une descendance pour Isaac. Bilaam, lui est motivé par la haine, il est corrompu. Lorsque le roi Balak lui propose de l’or et de l’argent, il ne refuse pas au nom de ses principes, mais s’abrite derrière une éventuelle autorisation divine.
- Dans les deux récits il y a tergiversation dans la mission qui va leur être confiée. D.ieu va changer d’avis.
Pour Abraham il commence par promettre une descendance à Isaac, puis demande à Abraham de le sacrifier (alors qu’il est jeune homme, et donc sans encore d’enfants), puis au moment fatal fait intervenir un ange pour stopper le sacrifice et remplacer Isaac par un bélier. Pour Bilaam D.ieu commence par lui dire « tu n’iras pas pour maudire Israël », puis enchaine en lui disant « lève-toi et va avec eux » (avec Balak et son armée), puis au dernier moment, toujours par l’intermédiaire d’un ange, se met en travers de la route de Bilaam et lui fait changer les malédictions en bénédictions. Nous sommes dans la confusion, il est difficile de cerner la décision divine. Abraham conserve tout au long du processus sa confiance totale en D.ieu, alors que Bilaam va dénoncer cette attitude divine changeante. Donner un ordre et son contraire. Il reproche à D.ieu d’être mené par le bout du nez.
- La différence, le gouffre
Mais c’est exactement ce que reproche D.ieu à Bilaam : s’être laissé mener par le bout du nez, d’avoir eu une attitude passive, une simple obéissance aveugle. Où est le sens critique indispensable à tout prophète ? Où sont ses principes fondateurs qui doivent guider son action ? Où est la foi ? Dans un tel contexte de passivité la piété devient alors un manque de foi. Abraham, quant à lui, conserve toujours sa boussole intérieure attachée à sa conscience. Lorsqu’il sera confronté au problème, à la destruction envisagée par D.ieu pour Sodome et Gommorrhe, il saura désobéir à D.ieu, en se référant à ses principes fondateurs (bonté, équité, indulgence) et entamera une négociation devenue si célèbre. D.ieu a donc transformé Bilaam en marionnette. L’obéissance pour elle-même n’est rien.
- Une ânesse qui parle, qu’est-ce que ça signifie ?
La situation ironique est la suivante. L’ânesse voit l’ange, alors que Bilaam, le plus grand prophète des nations, ne le voit pas. L’ânesse devient alors prophète. Prophète à la place du prophète. L’ânesse qui est humble, simple, par simple intuition, bon sens, voit le prophète, comprend la situation. Alors que le plus grand prophète des nations est devenu aveugle, il est a contre sens, il n’a rien compris à la situation, à l’absurdité de sa position. L’ânesse va dévier sa route et écraser de ce fait le pied de Bilaam, mais en réalité c’est Bilaam qui a dévié, c’est lui qui fait fausse route depuis le début, mais il n’arrive pas à s’en rendre compte. Même un âne voit mieux que lui. Une ânesse qui parle pour encore mieux signifier la totale absurdité de la situation.
- Quelle leçon plus générale ?
Des gens peuvent lire les mêmes textes, même des textes saints, et avoir des attitudes, des lectures diamétralement opposées. Certains peuvent y puiser (textes à l’appui) des motifs de haine, de mépris, des motifs de violence et d’autres vont voir des bénédictions, des motifs de paix et de construction. Et en fait tout tient à très peu. Le chemin est étroit (comme le passage de Bilaam qui va se blesser contre la paroi lorsque la trajectoire va dévier). La malédiction peut se transformer en bénédiction et la bénédiction en malédiction. Il ne suffit pas d’être prophète, il faut savoir interpréter justement la parole de D.ieu.
Conclusion
La paracha Balak est un récit, facile à raconter, et il faut le faire. Mais il recèle, comme toujours, des enseignements de vie pour toutes les époques et même pour aujourd’hui. La différence entre les vrais et les faux prophètes est ténue, le chemin de la différence est étroit, tout peut basculer à tout moment. Il s’agit de se montrer vigilant, d’exercer son esprit critique. La différence fondamentale se fait sur les valeurs fondatrices qui forment un socle inébranlable et bénéfique lorsqu’il s’agit de bonté, de générosité, d’équité, de partage, de justice, mais qui peut aboutir au pire lorsque ces valeurs sont changeantes, intéressées, tournées vers soi-même plutôt que vers les autres.