19% des personnes interrogées pensent que « les juifs ont trop de pouvoir en politique ». Ah bon ! Ce pourcentage passe à 64% chez les musulmans pratiquants. Boum !
Depuis plus de dix ans l’antisémitisme a montré à nouveau son visage violent.
Depuis plus de dix ans les juifs de France sont dans le doute. Ils ne reconnaissent plus leur
France, la république qu’ils aiment tant, pays des droits de l’Homme et de l’universalisme.
Depuis plus de dix ans les juifs de France sont dans l’inquiétude car ils voient ressurgir de leur
pays une part sombre qu’ils pensaient effacée.
Au cours de cette décennie, nous n’avons jamais pu compter moins de 400 actes antisémites
par an sans même parler des drames qui ont été l’assassinat brutal par le gang des barbares
d’Ilan Halimi, la tuerie de l’école Ozar Hatora en 2012, le massacre à l´hyper cacher de
Vincennes, les assassinats horribles de Sarah Halimi ou Mireille Knoll.
La parole antisémite se délie, tristement révélée par « l’affaire Dieudonné », capable de produire
et de diffuser à grande échelle des propos insultants, blessants et qui s’appliquent à susciter la
haine de l’autre.
En France, nos responsables politiques ont mis plus de dix ans à reconnaître et admettre cette
violence antisémite, et même encore aujourd’hui à chaque affaire, à chaque drame, il faut la
pression de certains intellectuels, historiens, philosophes pour que le caractère antisémite soit
reconnu, admis. Mais alors que partout en Europe les signaux d’alerte s’allument, reconnaître
le problème n’est aujourd’hui plus suffisant.
C’est pourquoi il est temps d’agir. Il est temps de sortir des non-dits, d’analyser les sources de
l’antisémitisme afin de pouvoir agir efficacement. L’action publique ne peut pas seulement se
baser sur des hypothèses.
C’est dans cet esprit qu’à l’occasion des dix ans du « rapport Rufin » un séminaire a été
organisé en commun par l’American Jewish Committee, la Fondation Jean Jaurès et la
Fondation pour l’Innovation politique. À la suite de ce séminaire, cette dernière a entamé un
travail inédit : réaliser deux enquêtes d’opinion, effectuées par l’Ifop, sur la pensée et les
préjugés antisémites dans l’opinion publique française. La première enquête a été faite auprès
de 1005 personnes par questionnaire auto-administré en ligne, la seconde a concerné 575
personnes de 16 ans et plus déclarant être nées dans une famille musulmane, interviewées
dans la rue.
Le résultat est édifiant.
Le pourcentage de Français ayant des préjugés envers les Juifs n’est pas résiduel.
En effet, 25% des Français pensent, par exemple, que les Juifs ont trop de pouvoir dans
l’économie et les finances;
22% que les Juifs ont trop de pouvoir dans les médias;
35% que les Juifs utilisent leur statut de victimes de la Shoah dans leur propre intérêt;
horrible, non ?
16% qu’il y existe une conspiration sioniste mondiale.
Plus grave, 14% des Français estiment « compréhensibles », les attaques contre des lieux de
cultes et des commerces juifs ainsi que les slogans de haine entendus lors des manifestations
anti-israéliennes de l´été 2016.
En outre, les opinions antisémites sont aujourd’hui principalement véhiculées par certaines
zones au sein de la population française: les sympathisants de l’extrême-droite, de l’extrême-
gauche et par une frange significative de la communauté musulmane, elle-même victime d’un
profond ressenti anti-musulman révélé également par le sondage.
De toutes les catégories de répondants, ce sont les proches du Front National (39%) qui
estiment le plus qu’un Français juif n’est pas aussi français qu’un autre Français, contre 16%
en moyenne. Un électeur du Front National sur deux pense que les Juifs ont trop de pouvoir
dans le domaine de l’économie (50%) et dans le domaine des médias (51%).
Par ailleurs, il convient de noter que les opinions hostiles aux Juifs, ou les préjugés
antisémites, sont plus répandus chez les personnes exprimant une défiance plus grande à
l’égard des institutions, des représentations politiques et médiatiques. L’antiparlementarisme,
le rejet de l’Europe, le rejet de l’Etat, la défiance à l’égard des médias traditionnels, la demande
de fermeture à un monde globalisé ou encore le rejet des étrangers conditionnent davantage
l’apparition d’une opinion antisémite que le niveau de diplôme, le niveau de revenu ou l’âge
des sondés.
Les sympathisants du Front de Gauche et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon constituent un
autre univers d’opinions favorables aux préjugés contre les Juifs. 51% par exemple pensent
que les Juifs utilisent dans leurs propres intérêts leur statut de victimes du génocide nazi. La
différence avec les électeurs du Front National réside dans le refus de considérer comme plus
ou moins française une personne en raison de ses origines de sa religion. Les proches du Front
de gauche sont cependant 24% à considérer que les Juifs « ont trop nombreux en France »,
contre 16% en moyenne.
Un des faits les plus marquants de cette étude est que les Musulmans sondés sont deux à trois
fois plus nombreux que la moyenne des interrogés à partager des préjugés contre les
Juifs. Selon ces données recueillies, il n’existe pas une différence significative selon l’âge, le
niveau d’éducation ou le statut social. En revanche, la propension à exprimer des préjugés
contre les Juifs augmente sensiblement avec le degré d’engagement dans la religion. Ainsi,
lorsque 19% de l’ensemble des personnes interrogées indiquent adhérer à l’idée selon laquelle
« les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique », le taux est de 51% pour
l’ensemble des Musulmans, mais il est de 37% chez ceux qui déclarent simplement une
« origine musulmane », soit le fait d’être né dans une famille musulmane mais sans avoir
d’engagement religieux, de 49% chez les Musulmans croyants, et de 63% chez les Musulmans
croyants et pratiquants.
Enfin, nous sommes également les témoins aujourd’hui d’un antisémitisme qui se nourrit de
l’installation d’un monde médiatique parallèle, adopté par une culture underground,
protestataire, marginale et qui s’abandonne aisément aux interprétations et à la sémantique
complotistes.
En effet, les opinions des personnes qui s’informent principalement sur les réseaux sociaux,
les forums de discussion et les vidéos en ligne (comme YouTube) présentent un degré
beaucoup plus élevé d’antisémitisme. Cela a notamment conduit à la starification du comédien
Dieudonné et de « l’essayiste »Alain Soral qui sont les principaux responsables de la libération
de la pensée antisémite dans le domaine public comme sur Internet. A cela se rajoute
maintenant un autre outil: la formation politique, puisque les mêmes s’efforcent maintenant de
donner le jour à un parti dont le but serait de réaliser une sorte de grande réconciliation, c’est-
à-dire la réunion de tous les antisémites.
C’est en sortant des non-dits, en brisant les tabous, en combattant toutes les formes de
stigmatisation que nous pourrons réduire ces courants sordides qui rongent l’idéal
démocratique et républicain, qui insufflent la haine de l’autre, pourtant compatriote, et rêvent
d’une nouvelle guerre civile. Nous ne pouvons pas rester apathiques, nous ne pouvons pas
laisser les populistes, les démagogues, les spécialistes de l’outrance s’emparer des malaises de
notre société. La grande nouvelle de ce sondage, c’est qu’il révèle un large consensus dans la
société française sur la nécessité de lutter contre l’antisémitisme et le racisme. À nous tous de
faire en sorte que cette belle majorité reste le visage d’une France qui n’est vraiment elle-
même que lorsqu’elle se veut le pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
André Bensimon
A partir d’un article du Huffington Post